L’argument : Liliane part en Chine pour la première fois de sa vie afin de rapatrier le corps de son fils, mort dans un accident. Plongée dans cette culture si lointaine, ce voyage marqué par le deuil devient un véritable voyage initiatique
Notre avis : Remarqué pour ses travaux de photographe et ayant participé à des courts métrages et documentaires, le franco-hongrois Zaltan Mayer vient de réaliser son premier long métrage,
Voyage en Chine. Attiré depuis longtemps par les cultures orientales, il décide lors d’un voyage en Chine avec sa mère d’entreprendre un film dont l’action se situerait dans ce pays – et plus précisément dans le Sichuan, situé dans le Sud-Ouest. Le cinéaste et scénariste reconnait que d’emblée il a pensé à Yolande Moreau pour incarner l’héroïne :
« Sa présence m’a accompagné tout au long de l’écriture, avant même d’avoir eu son accord. » Et d’ajouter :
« Et le film ne se serait pas fait si elle avait dit non ». On le comprend ! Nous retrouvons donc Yolande Moreau dans la peau et les habits de Liliane, infirmière quelque part dans un hôpital du nord-ouest de la France. Liliane a la cinquantaine paisible, voire résignée. Elle est mariée depuis sans doute une trentaine d’années avec Richard (épatant André Wilms !). Le couple végète. Manifestement, ils n’ont plus grand-chose à se dire et se contentent de se chamailler mollement, sans réelle conviction. Une nuit pas comme les autres, le téléphone sonne à la maison. Liliane apprend que leur fils, Christophe, vient de mourir accidentellement en Chine, dans la province méridionale du Sichuan. Là où il vivait depuis des années – et où ni elle ni son mari ne sont jamais allés lui rendre visite. Accablée par des imbroglios administratifs quasi kafkaïens pour faire revenir le corps de Christophe, Liliane décide brusquement de partir en Chine pour affronter la situation. Elle refuse que son mari l’accompagne :
« Je dois y aller seule, tu n’as jamais rien fait pour ton fils, il n’y a pas de raison de changer ». © Haut et Court Un long périple commence. Le cinéaste nous invite à y prendre part à travers le pas décidé, mais aussi le regard hagard et parfois inquiet d’une Liliane à la crinière blonde et grise, emmitouflée dans un grand manteau rouge. À tout moment notre héroïne doit faire face aux difficultés d’une voyageuse peu expérimentée, obligée de baragouiner un anglais rudimentaire et d’écarquiller ses beaux yeux bleus pour appeler à l’aide. Pas évident en effet de se repérer dans un Shanghaï démesuré et de trouver la destination de Langzong, grande vieille ville traditionnelle du Sichuan où a vécu son fils. En même temps que ce voyage géographique au sein d’une nature luxuriante, Liliane entreprend un voyage intérieur pour « retrouver » Christophe. Liliane s’adresse d’ailleurs à son fils en lui écrivant régulièrement dans un cahier – espérant ainsi renouer les liens qui s’étaient rompus avec lui. Cette ode au voyage nous offre de même une série de belles rencontres. En découvrant comment vivait son fils dans ce pays du bout du monde, Liliane rencontre ses amis, Danje la femme qu’il aimait… On la voit aussi bien manier maladroitement les baguettes pour se saisir d’une nourriture étrangère qu’apprendre des rudiments de chinois dans un bus avec un jeune écolier. Présence atypique pour les Chinois qui croisent son chemin que celle de cette Européenne au
« nez rigolo »,
« pas anglaise », mais
« née à Dieppe » et qui se laisse porter par la foule des villes, des gares et des bus bondés. Cruciale et émouvante séquence que celle où Liliane entend dans une rue de ce village du Sichuan le refrain de
Vesoul, la chanson de Jacques Brel. Ce sont les amis de Christophe qui organisent une fête en son souvenir.
© Haut et Court Liliane s’attache à cette terre généreuse, à ces gens simples, drôles et plein d’humour, qui l’accueillent avec autant de chaleur en l’associant à leurs fêtes et en la faisant participer aux rites mortuaires taoïstes. Comment quitter cette terre qui lui a permis de « rencontrer » son fils et de trouver une forme d’apaisement et de spiritualité ? Cette confrontation à une nouvelle culture a manifestement permis à Liliane – qui se nomme elle-même Li Li An – de faire son deuil et de se reconstruire. Zaltan Mayer nous offre avec
Voyage en Chine un film sans prétention, sensible, souvent grave mais également drôle. Il nous fait également partager avec tact et élégance une certaine quête spirituelle. Le cinéaste pose un regard juste sur le vrai sens du voyage et l’apport de la rencontre de l’autre.
Voyage en Chine ne dérape jamais dans le pittoresque ni dans l’exotisme de pacotille. Zaltan Mayer a ainsi fait le choix d’une réalisation minimaliste qui privilégie les cadrages soignés et un superbe travail sur le flou. Un minimalisme renforcé par la musique de Steve Shehan qui fait écho à la sensibilité du film. Zaltan Mayer nous propose aussi de beaux portraits de personnages féminins. Certes le film repose avant tout sur les belles épaules de Yolande Moreau. La comédienne déploie ici toutes les nuances de sa sensibilité frémissante et de sa drôlerie bien personnelle. Comme elle le fit notamment dans
Séraphine (2008) et
Quand la mer monte (2004). Mais Yolande Moreau forme un magnifique duo avec la belle et lumineuse actrice chinoise Qu Jing Jing qui joue Danje, l’amie de son fils. Beau duo également que celui qu’elle crée avec la comédienne Ling Dong Fu, qui campe sa facétieuse logeuse, une sorte de double chinois. On sort de ce
Voyage en Chine le cœur léger et l’esprit zen. En somme, un film tout simple, qui n’est que douceur et tendresse.